Les Jumelles

Publié le par Emilie

Ce texte est le début d'une nouvelle. Si vous voulez le texte entier au format PDF merci de me contacter.

 

Présentation

 

Si je vous ai fait venir c’est pour vous parler des Jumelles. Ne soyez pas surpris ! Ah ! Les Jumelles. C'est amusant, quand je me repasse les détails de cette histoire, je me laisserais presque allé à croire.

Je les ai rencontrées le jour de notre entrée à l'Institution. Comme tous les autres nous étions dans notre quinzième année et nous nous apprêtions à quitter nos parents et les joies de l'enfance pour étudier notre spécialité. A vrai dire je ne les ai repérées que lors de la réunion de présentation dans le grand amphithéâtre. C'est là que je les ai tous repérés. Ceux qui allaient devenir des héros.

 

 La première à susciter mon intérêt fût Eve. Déjà un peu ronde, une furieuse lueur de malice anima son regard quand elle nous expliqua ce qui l'avait poussée à devenir Traqueuse de goût. Je crois avoir été le seul à remarquer que ce qui l'excitait était moins ce qu'elle disait que la perspective de goûter le chewing-gum qu'elle était en train d'extraire de sous le pupitre.

Le second fût Makoto. L'air accablé qu'il affichait ostensiblement en montant vers l'estrade me fît sourire, son laïus sur la dépendance des Traqueurs qui était criminellement excitée et cultivée pour soutenir un système basé sur une consommation de masse m'intrigua, mais quand il annonça qu'il se destinait à la carrière de Colporteur, ceux là même dont la fonction était de combler les moindres désirs des Traqueurs, je fût définitivement conquis.

Thanatos n'eût rien besoin de faire pour piquer ma curiosité. Le seul fait qu'il ait choisit de devenir Décompositeur de corps humain suffit. Qu'est-ce qui pouvait bien pousser quelqu'un à opter pour cette vie de paria, rejetée de tous ? J'étais parfaitement conscient que notre société en avait besoin mais je n'avait jamais réfléchit à ces individus qui sacrifiaient la composante sociale de leur existence pour se consacrer à ce métier.

Enfin arriva le tour des jumelles. Elles étaient d'une beauté à ce point identique que j'interprétais tout d'abord le fait inhabituel qu'elles viennent se présenter à deux comme une vue de l'esprit. Leurs longs cheveux noirs faisaient ressortirent la blancheur porcelaine de leur peau qui à son tour faisait ressortir le rouge de leurs lèvres. Le plus frappant étaient sans nul doute ces quatre yeux d'un gris teinté de toutes les nuances d'un ciel orageux qui semblaient voir au delà de notre réalité. Mais en les regardant évoluer sur scène on ne pouvait que noter leurs différences dans l'attitude.

Bien que portant toutes deux l'uniforme de l'Institution, Cassandre semblait plus colorée, plus fraîche que Jade qui se tenait bien droite, les mains dans le dos. Je n'allais pas tarder à en connaître la cause. Cassandre prit la parole d'une voix claire et enjouée. Elle expliqua ses motivations à Traquer la beauté sous toutes ses formes aussi bien artistiques que naturelles, dans la mode comme dans l'art. L'assistance semblait sous le charme.

Puis elle prit un ton à peine plus solennel pour nous expliquer que Jade était muette de naissance et qu'elle allait se charger de retranscrire pour nous sa présentation. C'est alors que les mains de Jade entamèrent leur danse avec une grâce inattendue. La voix traduisait leur message dans une telle osmose qu'elle semblait provenir des doigts eux même. Je ne saisis pas vraiment les raisons pour lesquelles elle souhaitait devenir une Pêcheuse d'idée généraliste tant j'étais absorbé dans la contemplation de ces mains  parlantes. Ça n'avait d'ailleurs aucune espèce d'importance puisque ce jour là elle tu ses véritables motivations que je ne découvrit que plus tard. Je décidais dès cet instant d'apprendre au plus vite cet étrange langage.

Quand la directrice énonça mon nom, il ne restait plus que moi, Salomon. Ayant très tôt épousé la vocation de Subordinateur je montais donc au pupitre pour sortir ce ramassis de conneries que veulent entendre les professeurs sur l’absolue nécessité de l’ordre et d’une organisation stricte respectée par tous. Seuls les plus attentifs remarquèrent le symbole du mouvement anarchiste scintillant sur le revers de ma veste. Ce jour là je me souviens avoir été déçu qu’aucun Passeur, ces doigts de fées capables de concrétiser n’importe quel concept, n’ait attiré mon attention. Mais je palliais à ce manque en rendant très vite les meilleurs d’entre eux redevables.


Institution

J'avais toujours caressé l'ambition de créer un système parallèle à celui de l'Autorité. J'avais donc commencé très tôt à tisser mon réseau. Comme tout Subordinateur j'exploitais les facultés de mon prochain de son plein gré à ceci prêt que je le faisais pour le compte et au bénéfice d'un tiers qui se laissait en contrepartie exploiter à son tour. Bien sûr je prenais au passage une commission, qu'animé par un sens profond de la justice, j'indexais sur le patrimoine. Mais là où résidait mon véritable talent c'est que, ne pouvant me résoudre de par ma nature impatiente à attendre la demande, je la provoquais en détectant chez mes interlocuteurs la faille, le besoin inavouable, le désir refoulé.

C'est comme ça qu'en moins d'un an à l'Institution il ne resta pas un seul élève qui ne me dusse un service. Et je commençais ce petit jeu dès le lendemain de la réunion de présentation en soudoyant une pauvre Subordinatrice de l'administration qui se laissait allé parfois à fumer un peu d'herbe, afin que mes futurs amis et moi nous retrouvâmes dans la même classe d'Éthique.

 

Le choix de cette matière n'était pas du au hasard. Elle représentait pour moi le summum de l'hypocrisie du monde dans lequel nous vivions alors. Mais je savais que c'était là que les vrais débats auraient lieu et qu'on aurait une chance de se connaître mieux. Je ne fut pas déçu. Leurs points de vue étaient toujours singuliers car ils pensaient au delà du cadre. Cassandre continuait de jouer les interprètes pour sa sœur qui me fascinait de plus en plus. Son handicape qui la contraignait à écouter avant tout, avait fait d'elle une contemplative. Aucun détail ne lui échappait.

Je ne me souviens plus sous quel prétexte nous commençâmes à nous voir en dehors de ce cours. Tout se fît si naturellement. Il n'y eut que Thanatos, qui, s'étant sans doute préparer à vivre en solitaire, fut quelque peu méfiant. Mais il comprit bien vite que nous n'étions animés que par une ouverture d'esprit hors du commun. Rapidement nous convînmes d'apprendre la langue de Jade par commodité pour elle mais également pour le plaisir de ne nous faire comprendre que de nous seuls. L'année suivante je réussissais le prodige de faire intégrer les filles à notre bâtiment. Ainsi nous partagions quasiment notre quotidien.

 

Les 6 années passées à l'Institution, de la réunion de présentation à la Cérémonie de Synchronisation restent parmi mes meilleures. Tout était à faire. Nous baignions dans un esprit de conquête, conquête de nouveaux savoirs, de nouvelles maîtrises, de nouvelles expériences et tout cela nous exaltait.

A l'exception bien entendu de Makoto. Chaque jour lui apportait son lot de supplices. Ses parents n'auraient jamais du le contraindre à devenir Colporteur. Ah ! Le poids de la tradition. Colporteur de père en fils depuis plusieurs générations, sa culture lui interdisait toute tentative de rébellion. Il apprit donc consciencieusement à pratiquer ce qu'il exécrait par dessus tout. Et il le fit avec une abnégation qui forçait mon respect. Heureusement, il y avait ce fameux cours d'Ethique durant lequel il pouvait laisser parler ses convictions profondes sur l'immoralité d'un système basé sur l'exploitation des pulsions les plus viles. Ce qui donnait lieu, quand Eve y participait, à des scènes mémorables.

Car Eve était l'antinomie de Makoto. Elle avait été libre de choisir sa voie, puisque orpheline, elle aimait ses "pulsions" par dessus tout et elle était très reconnaissante à cette société de lui permettre de faire de leur assouvissement sa principale activité. D'ailleurs, durant ces années, elle développa autant ses désirs que son habileté à les combler de manière détournée. Je m'explique. Non seulement elle devint une véritable experte en vole à la tire, mais elle se créa également toute une panoplie de personnages divers qui lui permettaient de pénétrer les meilleurs restaurants ou les plus sélectes réceptions. Au jour de la grande Cérémonie, elle était devenue une sorte de caméléon qui n'avait rien à envier aux espions les plus doués. Mais son épanouissement n'était rien comparé à celui de Cassandre.

Je n'ai jamais retrouvé une aura comme la sienne. Avec son naturel enjoué et sa grâce qu'elle parait de toutes les beautés dénichées, elle était la flamme qui attire à elle les papillons. Convoitée aussi bien par les hommes que par les femmes, elle semblait ne pas en avoir conscience tant elle s'amusait. La vie était pour elle un jeu de piste où la beauté était partout. Toute une courre gravitait constamment autour d'elle et ne la quittait que quand elle revenait en notre compagnie. Elle fût la seule à ne pas pâtir de notre amitié avec Thanatos.

En parlant de lui, il m'arrivait parfois, dans les moments de doutes, de regretter de l'avoir choisit. Il parlait peu et travaillait beaucoup. Malgré mes nombreuses tentatives pour le percer à jour, pour l'amener à me confier ses motivations profondes, il restait un mystère. Pourtant il semblait nous être reconnaissant d'avoir bravé les interdits sociaux pour lui apporter un peu de compagnie. Je crois même qu'il nous appréciait. Peut-être étais-je aussi troublé de ne détecter chez lui aucun point faible, aucun besoin qui pourrait le pousser à faire appel à mes services. Il restait hors de ma sphère de contrôle. Ah ! Si ! Une fois il m'a demandé un conseil !

 

 

Publié dans Prose

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